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Les traders manipulent t'il le monde?
6 avril 2011

La vie rêvée des traders

L'affaire Kerviel a fait resurgir au premier plan les jeunes loups de la finance. Depuis les années 1980, ces salariés cousus d'or qui mènent un train d'enfer ont changé. Portrait de meute.

 

«Black January!» Le titre de cet article du Financial Times (FT) résume l'humeur qui règne dans les tours de la City, le trépidant centre des affaires londonien. Crise des subprimes, crise boursière, affaire de la Société générale: les traders font grise mine. Ils craignent pour leurs bonus, la part variable de leurs salaires, traditionnellement attribuée au début de février. L'inquiétude gagne peu à peu les concessionnaires de voitures de luxe et les boutiques chics de Savile Row, qui vivent au rythme de ces princes des marchés...

Mais qui sont donc ces fameux traders? L'activité de ces professionnels du risque paraît simple: parier sur la hausse ou la baisse d'une action, d'un indice ou d'une monnaie, afin de dégager un profit. Mais, depuis vingt ans, le visage du métier change à toute allure. «Les activités financières brassent de plus en plus d'argent, sont de plus en plus risquées, décrypte Marc Fiorentino, président de la société de Bourse Euroland Finance et lui-même ancien trader. Pour conjurer ce risque, on a créé des produits toujours plus complexes, reposant sur des modèles mathématiques très sophistiqués.» Les traders, qui jonglent quotidiennement avec les swaps, les options ou les strikes, ont changé eux aussi. Les golden boys triomphants des années 1980, gros cigares, Gomina et bretelles flashy, mêlant arrogance et bagou, ont laissé place aux «quants» - pour «analystes quantitatifs» - tout aussi sûrs d'eux-mêmes, mais beaucoup moins exubérants. «Du genre à lire le supplément «How to spend it?» du FT, avant d'aller claquer leur fric», plaisante un ancien...

L'activité de ces pros paraît simple: parier sur la hausse ou la baisse d'une action, d'un indice ou d'une monnaie, afin de dégager un profit (ici, à Francfort).

© TH. LOHNES/DDP/AFP

L'activité de ces pros paraît simple: parier sur la hausse ou la baisse d'une action, d'un indice ou d'une monnaie, afin de dégager un profit (ici, à Francfort).

Le mode de recrutement s'est lui aussi transformé: alors qu'il y a vingt ans leur ancêtre, l'agent de change, pouvait être recruté sans même le bac, aujourd'hui, il est presque indispensable de passer par une grande école de commerce ou d'ingénieurs. «La voie royale, c'est de faire Centrale ou Polytechnique, détaille un chasseur de têtes spécialisé dans la finance. Puis d'enchaîner avec un troisième cycle en mathématiques financières à Paris VI ou à Dauphine.» Très appréciés par les banques, ces nerds hexagonaux envahissent les grandes places internationales. C'est particulièrement le cas à Londres, où ils se regroupent dans le quartier huppé de South Kensington - surnommé «South Ken» par les expatriés, et «froggies valley» («la vallée des grenouilles») par les locaux...

Dire que, pour eux, l'argent est le nerf de la guerre relève du doux euphémisme. «La rémunération d'un jeune trader performant, bonus non compris, tourne autour de 75 000 ?», commente Olivier, qui vient de débuter comme assistant trader dans une banque française à Paris. Les salaires n'ont pas cessé de grimper depuis quelques années: «Les montants n'ont pas bougé depuis 2000, rigole un membre de la tribu. Mais, à l'époque, c'étaient des francs...» Si les rémunérations fixes ont augmenté, ce sont surtout les bonus qui ont explosé. Celui d'un trader lambda tourne ainsi autour de 100 000 ?. Mais cette moyenne masque de très fortes disparités: à Paris, en 2006, un petit millier de professionnels auraient obtenu un bonus supérieur à 1 million d'euros. A Londres, ils sont 10 000. Et les 100 plus grandes stars mondiales de la profession enfoncent allègrement le plafond des 10 millions d'euros de bonus annuel. «Le ciel est la limite», ont-ils coutume de répéter...

L'omerta règne sur les montants des bonus

Comment fonctionne le système des bonus? Le principe est de récompenser ces professionnels à proportion de leurs résultats. Dans les faits, la plupart des grandes banques internationales attribuent une enveloppe par département. Le chef de chaque département peut ensuite répartir cette somme comme bon lui semble. Au final, l'omerta règne sur les montants: «Ceux qui ont touché peu préfèrent ne rien dire, pour ne pas passer pour des minables, témoigne un trader londonien. Ceux qui ont touché énormément aussi, pour éviter les jalousies...»

Les goldens boys triomphants ont laissé la place aux «analystes quantitatifs» (ici, à Hongkong).

M. Clarke/AFP

Les goldens boys triomphants ont laissé la place aux «analystes quantitatifs» (ici, à Hongkong).

Atteindre ces cimes himalayennes ne se fait pas sans douleur. Les nuits sont brèves et les journées, épuisantes. Lever à 5 h 30, arrivée au bureau à 7 heures. A 8 heures, la réunion du matin, le morning meeting, permet de faire le point sur les marchés. Les traders passent ensuite leurs journées l'oeil rivé à leurs cinq écrans, l'oreille vissée à leurs trois téléphones. A peine ont-ils le temps d'attraper un sandwich chez Paul ou au Starbucks du coin. A Londres, lorsqu'ils ont un peu plus de temps, ils vont se prendre un plat chaud au Ready to Eat, des sushis chez Itsu ou des nouilles sautées chez Wagamama. Plus rarement encore, certains profiteront du déjeuner pour faire quelques tractions dans la salle de gym de leur établissement, avec entraîneur personnel. La journée se termine rarement avant 20 heures.

Les traders londoniens se retrouvent au pub autour d'une pinte, au Departure ou au Mary Jane's, dans la City, ou encore au All Bar One ou au Rogue Trader, du côté du quartier neuf de Canary Wharf. Un moment de détente bienvenu dans cet univers ultracompétitif, presque exclusivement masculin. «C'est très intense, explique l'un d'eux, qui travaille à la Bank of America. Vu les montants, si l'on a gagné, on va se coucher avec l'impression d'être le roi du monde. Si l'on a perdu, avec celle d'être le dernier des clochards...»

Soumis à une pression permanente et à une concurrence acharnée, les traders utilisent leurs rares moments de détente comme autant d'exutoires. A Paris, ils vont se déchaîner en boîte ou dans des clubs de strip-tease comme le Stringfellows ou le Pink Paradise; à Londres, se défouler avec Elle MacPherson et Kate Moss chez Annabel's, au Chinawhite ou encore à la Movida, où les cocktails sont facturés 20 livres (environ 27 ?), et les tables, 100 livres. Mais le politiquement correct venu d'outre-Atlantique gagne peu à peu du terrain: adieu, les financiers défoncés à la coke, le trader new-look mange des burgers de tofu, est adepte du feng shui ou de la relaxation et s'épanche dans les «networks», ces groupes communautaires qui permettent de développer son réseau. «Ils sont moins exubérants qu'il y a dix ans, commente un bon connaisseur du milieu. Certains sont de simples pères de famille sans histoires...»

Après quinze ans de cette vie, la plupart, usés, raccrochent

Flamber reste, quoi qu'il en soit, le sport favori de beaucoup d'entre eux. Tous les moyens sont bons: voitures de luxe, Porsche Carrera 4 S turbo, Lamborghini ou Aston Martin; montres à 10 000 ? l'unité, siglées Rolex ou Jaeger LeCoultre; costumes taillés sur mesure Hugo Boss; chemises en popeline de coton Ralph Lauren; pantalons à pinces de chez Paul Smith... «Les signes extérieurs de richesse sont très importants, note Baptiste, trader dans une banque néerlandaise à Londres. Avoir des enceintes quadriphoniques, un écran à plasma dernier cri, une femme qui n'ait pas l'air d'un boudin...» Sur les sites Internet de certaines banques, la présentation du profil de certains traders est accompagnée de la photo d'un mannequin...

Et après? Au bout de dix ou quinze ans de cette vie, la plupart d'entre eux, usés, raccrochent. Les plus accros créent leur propre affaire. D'autres deviennent gérants de fonds, métier plus stable et moins envahissant. D'autres encore prennent une retraite dorée: ils s'achètent un restaurant dans le midi de la France, un ranch dans le bush australien, ou encore un chalet à Megève. Histoire de continuer, malgré tout, à tutoyer les sommets...

 

http://www.lexpress.fr/actualite/economie/la-vie-revee-des-traders_473463.html?p=2

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